Ah… La science fiction des univers post apocalyptiques… Le genre est fascinant et inépuisable, il n'a pour limites que celles de l'imagination. Après tout, l'écrivain est libre de refaire un monde nouveau, de A à Z : le revers de la médaille, c'est qu'en créant de toutes pièces un univers il faut s'arranger pour le rendre cohérent. Cohérent jusque dans ses moindres rouages : pour le lecteur, il faut que l'illusion soit parfaite, que l'immersion soit complète, sinon, le charme est rompu. Tout s'écroule, et c'est vite arrivé. Bref, pour bâtir un monde, il faut être un dieu, ou un fou.
G.J.Arnaud est un fou. Non mais imaginez un peu la plus
grande série de science fiction (par sa taille, hein) jamais rédigée : 16 tomes
de près de 700 pages chacun. La Compagnie des Glaces, c'est son grand œuvre, une
saga titanesque, démesurée, disproportionnée. L'envisager dans son ensemble,
c'est comme tenter de photographier l'Empire State Building depuis le trottoir
qui l'entoure. C'est juste un peu ambitieux.
THE
DARK SIDE OF THE MOON
Un
bref synopsis pour commencer : les hommes du XXIème siècle se sont servi de la
lune comme un dépotoir destiné à accueillir des déchets nucléaires instables et
en encombrants. Ce qui devait arriver arrive, une gigantesque explosion
pulvérise le satellite en un nuage de poussière : en s'agglutinant autour de la
terre, il voile la lumière du soleil. Les températures à la surface de la
planète ne tardent pas à chuter : c'est le début de la " grande panique ", une
période ou les humains tentent de s'adapter aux nouvelles conditions de vie. En
fait, la survie s'organise autour d'un seul et unique pivot : le rail et le
train, les seuls qui apportent, chaleur, mobilité et sécurité, les seuls qui
s'adaptent à la nouvelle donne climatique.
Trois cent ans plus tard, les hommes n'ont pour la plupart
aucune idée de ce que la terre a pu être avant la grande panique : le soleil est
au mieux une croyance, au pire une vue l'esprit. Le monde est prisonnier d'une
charge de plomb laiteuse, son ancienne surface fossilisée sous des dizaines de
mètres d'idlansis. Les mers ne sont plus que d'immenses banquises, la
température ambiante avoisine les - 60°.
MARCHE OU CREVE
Toute la vie des hommes est désormais
régie par des compagnies ferroviaires tentaculaires (la panaméricaine, la
transeuropéenne, la sibérienne, etc.). Elles ont remplacé les nations et se
partagent le monde, ce qu'il en reste du moins. Elles assurent à chacun de leurs
citoyens le moyen de survivre en leur garantissant (en théorie) une température
intérieure de 15° degré, une dose minimale de calories journalières. Cela au
prix d'une organisation totalitaire : la compagnie contrôle tout, fait régner un
ordre public draconien sur sa concession.
La police politique est omniprésente, la dissidence, la différence n'est pas
tolérée en ces temps difficiles. Les hommes vivent sous la plus effroyable
dictature qu'ils n'ont jamais connu, et pourtant, ils ne semblent rien
contester. Ils vivent bassement et meurent bassement. Ils font partie d'un
système qui s'oppresse lui même. G.J.Arnaud développe l'idée selon laquelle la
technologie se fait le vecteur de confort, voire de survie dans le cas présent
mais aussi et surtout de tyrannie. Pas d'autre choix que de se conformer : de
toute manière, les hommes n'ont même pas l'idée de contester quoi que ce soit.
La saga a inspirée une bande dessinée
UN VRAI ROMAN POPULAIRE
Dans cet univers
étriqué et normatif, on suit les aventures d'un homme, Lien Rag, anticonformiste
jusqu'au bout des ongles : un des seul à envisager le monde au-delà des rails,
au-delà des compagnies. Un des seuls à s'intéresser au passé de la planète. Un
des seuls à se poser des questions, par exemple sur l'origine des " roux ", ces
humanoïdes primitifs et pacifiques, les seuls à pouvoir vivre dehors par des
températures extrêmes. La plupart des gens les considèrent comme seulement des
curiosités obscènes, tout juste bonnes à racler le dôme en verre de leur ville
station.
La narration s'intéresse en parallèle à d'autres personnages
dont les destins singuliers se croisent, se mêlent et se démêlent à une vitesse
effrénée, dans la pure tradition du roman populaire. Je n'ai lu que les 4
premiers tomes (et croyez moi, c'est déjà pas mal) : ils m'ont littéralement
happé. L'action se déroule sur plusieurs niveaux, les intrigues se nouent sur
plusieurs fronts, les péripéties sont constantes et renouvelées : la narration
alterne entre scènes de guerre, d'espionnage, d'amour, et de quêtes mystiques
d'une telle façon qu'on en reste un peu étourdi.
Pas une fois le rythme ne ralentit, et sur 2100 pages des IV
tomes, c'est un vrai exploit. Alors oui, sur la fin en particulier, certains
éléments du scénario deviennent complètement invraisemblables (il est question
de baleines domestiquées, et d'amibes géantes -sic-), mais on a pas de mal à
pardonner ces quelques errements passagers. On est dans du grand spectacle, le
héros s'en sort toujours et au fond, on a envie d'y croire. Du coup, les
passages un peu farfelus sont effacés par la vraisemblance générale qui se
dégage de l'histoire. Les aspects techniques sont développées largement (le
héros est un ingénieur, et le bricolage est indispensable à la survie dans
l'environnement hostile de la Compagnie des Glaces) sans jamais être rébarbatifs
: la cohérence de l'ensemble est exceptionnelle.
UN LONG MAIS AGREABLE
VOYAGE
Et si on tourne les pages les unes après les autres avec autant de facilité, c'est grâce en grande partie au style d'Arnaud : fluide, sans redondance, il donne suffisamment d'images et de détails sans plomber le rythme. Les dialogues sont incisifs et le soutiennent très efficacement. Pas de lourdeurs, pas d'indigestion, tout s'écoule dans la longueur (16 tomes et 62 livres, tout de même…) avec beaucoup d'aisance. Je ne pense pas qu'il faille aller jusqu'au bout pour apprécier la Compagnie des Glaces : on peut quitter l'histoire en route, la reprendre 6 mois plus tard, seule l'envie d'en savoir plus pousse à commencer le tome suivant. Je me suis arrêté à la fin du IV, sur un feu d'artifice scénaristique, préférant rester sur une bonne impression avant la saturation.
Voilà, amateurs de science fiction originale, je vous engage
à vous plonger dans cette saga, riche, surprenante et facile à lire : le seul
danger est de ne plus pouvoir s'arrêter. Oui, la Compagnie des Glaces, c'est un
peu comme les pistaches d'apéro, c'est une drogue dure. Moi ça va, j'ai
décroché, mais une rechute n'est pas exclue. A bon entendeur…