Chronique
de Mafia sur PC
(Oubliez les hideuses versions consoles)
Quel
média peut surpasser le cinéma quand il est porté à son zénith ? Le jeu vidéo,
hé oui le jeu vidéo encore englué (souvent à raison) dans ses vieux clichés : le
jeux vidéos c'est pour les gosses ou les attardés. Le jeu vidéo, c'est une borne
d'arcade munie de deux flingues en plastique flashy où l'on doit shooter à bout
portant des zombis à tronçonneuses. Le jeu vidéo, c'est Lara Croft qui flatte
les instincts primaires des ados pré pubères avec sa combi moulante et ses 2
uzis. Dans le meilleur des cas, le jeu vidéo est un passe temps pittoresque et inoffensif qui
consiste à faire sauter un plombier d'une plate forme à un autre.
Bref, le jeu vidéo appelle au pire le mépris, au mieux la
condescendance. Pourtant, méprise-t-on le cinéma à cause des bronzés ? Le rock à
cause d'Indochine ? La littérature à cause de Dan Brown ?
Car à coté de nanars vidéo ludiques, il existe des créations
qui ont dépassé le statut de simples jeux pour devenir des œuvres qui
transcendent la beauté du cinéma, de la musique et de l'imaginaire : qui
proposent à un joueur de devenir " acteur ", d'évoluer dans une mise en scène au
milieu d'images, d'environnements cohérents en suivant un scénario que l'on ne
maîtrise pas, mais qui donne l'impression du contraire… Ce n'est pas du cinéma
interactif, c'est de l'expérience imaginaire.
Alors oui, à côté des innombrables bouses vidéo ludiques qui
remplissent 95% des rayonnages spécialisés, il existe des créations originales,
profondes et ludiques comme Mafia.
From Heaven to hell
Non, décidément Mafia ne
ressemble à nul autre jeu : la facilité pourrait l'encadrer dans le dénominatif
réducteur de GTA-like. Mais on va voir à quel point la parenté est parfois
lointaine. Pour commencer, situons le contexte : Mafia propose au joueur de se
mettre dans la peau d'un gangster malgré lui et le plonge dans le New York des
années 1930. La ville est très typée Amérique du nord, cote est et même si son
nom est Lost Heaven, sa similitude avec la grosse pomme saute aux yeux.
Le gangster en question s'appelle Tommy Angelo, chauffeur de
taxi de son état qui est finalement assez satisfait de son sort : il a un
travail et une voiture qui lui appartient. Alors, certes il travaille 12 heures
par jour pour s'en sortir, mais dans cette Amérique des années 30 en crise, il
fait presque figure de privilégié. Bref, sa vie lui convient. Mais qui dit
situation initiale dit élément perturbateur ! Et un beau soir alors que Tommy en
inspecte son taxi après une rude journée de travail, il entend se profiler au
loin des bruits stridents de crissements de pneus mêlés à des coups de feus. La
musique blues lancinante s'évanouit pour laisser la place à un thème angoissant
et torrentueux…Soudain, un bruit sourd de tôle froissée.
Avant que notre chauffeur ait le temps de réaliser ce qui est
en train de se passer, et deux gangsters dont un blessé se précipitent vers lui,
flingue à la main : réquisition du taxi, Tommy dont le destin et désormais lié à
celui des 2 mafiosi doit échapper à des poursuivants qu'il ne connaît même pas.
Un doigt est mis dans l'engrenage, et il est happé dans un monde qui lui est
complètement étranger : en entrant dans la familia, il découvre un monde où le
fric et les filles sont faciles, les amis nombreux et dévoués. Fini les fringues
de prolo et la casquette en toile, place aux costumes sombres et classieux…
Immersion totale
Le
premier contact avec la ville est délicieux : on se promène en taxi d'époque à
travers les rues de Lost Heaven comme dans un film historique. La vie est
partout : les piétons se bousculent sur les trottoirs, les clients vous hèlent,
les autres voitures vous rappellent à l'ordre avec des klaxons improbables. Tous
les bruits du anodins d'une grande ville des années 30 sont là : sirènes de
police au loin, crissements stridents d'un tramway sur ses rails, voix des
passants!
L'immersion est totale et on a l'impression troublante de se
retrouver dans une vraie ville : pas une rue ne se ressemble, les différents
quartiers ont tous un cachet et une ambiance particulière : le centre des
affaires, le quartier italien, chinois, ouvrier, bourgeois en périphérie… Bref,
on se sent déjà chez soi à Lost Heaven. Et le taxi que l'on conduit transpire le
vraisemblable… Le moteur crachote bizarrement, on entend les claquements sourds
de la boite de vitesse à chaque changement de rapport et découvre avec surprise
qu'une voiture des années trente, ça a une tenue de route assez approximative :
chaque virage à pleine vitesse est un
défi au
lois de l'inertie. Et on se traîne péniblement à 30 Km/h, le moteur crache tout
ce qu'il peut mais rien n'y fait, la moindre cote fait chuter la vitesse, bref
le taxi n'est pas un foudre de guerre.
Qu'importe, c'est tellement agréable d'admirer les décors si
variés de la ville… Au fur et à mesure qu'on avance dans le jeu et dans le
temps, de nouvelles voitures apparaissent dans les rues : du petit coupé V6 de
1933 au paquebot équipé d'un V16 indomptable (pas de doute, on est bien en
Amérique) le nombre de modèles est juste impressionnant… Obtenir à chaque fois le
dernier modèle à la mode est le challenge de tout bon mafioso qui se respecte,
ce qui fait l'objet de sous quêtes : on rend un petit service au garagiste du
coin qui nous indique où et comment voler la dernière sportive de chez Lassiter.
Au passage, le soin apporté à la modélisation des vénérables automobiles est
éblouissant : les formes originales et très travaillées apportent aux véhicules
une vraie consistance.
Quant à la bande-son,
elle brille par son omniprésence : les musiques bluesy bien vintage apportent
énormément à l'ambiance ; elles sont belles en plus d'être variées, changent
selon le quartier de Lost Heaven où l'on se trouve et rythment l'action de
manière tout à fait appropriée.
L'atmosphère de Mafia est très singulière : elle a été
travaillée, ciselée avec un souci maniaque du détail… Sur le moment, ça semble
naturel au joueur, ce n'est qu'après qu'on réalise l'ampleur du foisonnement du
jeu : cela tient parfois à rien, comme par exemple au bruit de la pluie d'été
qui martèle la tôle ondulée, au son du klaxon qui fait écho dans un tunnel, au
couinement stressant d'un vieux panneau Texaco qui tourne sur lui-même à cause
du vent, au linge étendu aux fenêtres des immeubles prolétaires…
De plus les différentes lumières qui baignent la ville et la
campagne (car oui, il existe un arrière pays immense, avec de multiples routes à
découvrir !) apportent un dynamisme important à l'atmosphère : les décors
changent complètement d'apparence sous un soleil couchant, sous la lumière d'un
orage naissant ou enfin plongés dans l'obscurité de la nuit. Certes, on retrouve
certains éléments de ce perfectionnisme maniaque chez GTA, mais pas dans ces
proportions.
Pour exister, cultive ta différence
Pour continuer sur le chapitre des
différences avec la très justement célèbre série des GTA, abordons le domaine du
gameplay : sans doute que celui de Mafia est moins souple, en ce sens que
l'ordre des missions est linéaire et obéit au déroulement rigide d'un scénario.
Et celui de Mafia est très travaillé, beaucoup plus que ceux des GTA : il y a de
l'amour, de la vengeance, de l'épique…
Les personnages ont une vraie psychologie, et le jeu amène de vraies questions
sur la subjectivité et la relativité de la morale, sur les rapports complexes
entre amitié, fidélité et devoir… Le scénario de Mafia est flamboyant et
tragique, broie les personnages dans la roue d'un destin qu'ils ont l'illusion
de maîtriser… Du coup, on a compris que les missions ne sont pas de simples
prétextes à sortir l'artillerie lourde et à froisser la tôle comme dans GTA,
mais les éléments solidaires d'une pièce qui se déroule en plusieurs actes…
Pourtant, cette rigidité n'est pas un problème, elle est compensée par le
plaisir d'avancer dans l'histoire, d'être acteur des innombrables
rebondissements scénaristiques. On avance comme sur des rails sans s'en rendre
compte, car la sensation de liberté est infiniment plus vivifiante que dans
n'importe quel jeu du genre.
Rare
Cigars & Arkansas fine Bourbon
Pour
finir, s'il est un domaine dans lequel Mafia cultive sa différence, c'est son
aspect cinématographique très marqué : les vidéos utilisant le moteur du jeu
sont nombreuses, elles introduisent, rythment et concluent les missions du jeu.
De plus elles bénéficient d'une réalisation qui n'a rien à envier aux films du
genre : travellings, cadrages audacieux viennent soutenir l'action. Sans sa mise
en scène, Mafia ne serait pas Mafia.
C'est bien simple,
c'est une des seules création vidéo ludique qui où les personnages 3d ont l'air
vraiment crédible (les jeux utilisant les images de synthèses, sont bien sur
hors jeu). On dirait de vrais acteurs, dans un vrai film de gangster : ils ont
des expressions faciales humaines, des mouvements naturels et des voix…je bénis
le ciel que la version française du jeu ait pu bénéficier de vrais doubleurs…
Le don a une belle voix profonde et
grave, qui transpire l'autorité : mais c'est vrai pour chaque personnage,
chacune a son charme et son originalité. Tour à tour rocailleuses, aigues,
nasillardes, plein de gouaille elles donnent de la consistance aux personnages.
Leur vocabulaire est lui aussi adapté à leur époque : fleuri, plein d'argot et
d'expressions désuètes mais tellement croustillantes… Il apporte un relief
appréciable
à l'atmosphère. C'est un vrai régal d'entendre palabrer le Don avec ses hommes
de mains dans une salle arrière envahie par la fumée de cigare et les vapeurs de
whisky !
Je pourrais continuer des pages durant à chanter les louanges de Mafia, en passant plus de temps à détailler la grande diversité des missions (par exemple et au hasard) mais je vais m'arrêter là, d'une part parce qu'il est tard et de l'autre parce que je vous laisse le soin de découvrir son exceptionnelle richesse artistique et ludique. Aujourd'hui, il ne doit plus coûter plus de quinze euros, c'est une vraie affaire, d'autant que c'est typiquement le jeu que l'on installe, finit et réinstalle six mois plus tard… Pour le finir à 100 %, campagne et mode circulation ultra libre, il faut 9 vies. Encore une bonne raison de se réincarner en chat.